J’avais retrouvé
Paris à la mi-décembre déjà prêt pour le spectacle des fêtes. Encore très loin
de la crise et de toute autre inquiétude matérielle, il resplendissait. Malgré
la profusion des ornements et des lumières, tout lui allait à merveille.
Je ne voyais pas les gens, d’ailleurs
nombreux. Je les sentais plutôt : ils ne touchaient pas terre, mais
flottaient doucement au ras du sol, pareils à de grands flocons multicolores
compensant la neige qui tardait ou à des sylphes gracieux et muets dont le
va-et-vient s’insinuait discrètement dans le spectacle des illuminations,
ahurissant mais accueillant en même temps. Tout s’agençait pour persuader les
spectateurs de la qualité de la représentation et les inviter à entrer dans le
jeu.
Il suffisait qu’on
ouvrît la porte d’une parfumerie, ne fût-ce que pour un instant, et les fragrances
s’en évadaient, subtiles, elles vous accompagnaient pour un temps, jusqu’à ce
que des arômes envolés d’une pâtisserie prissent le relais. Suivait le tour
des effluves du café, plus alléchantes qu’en été, plus intenses qu’en automne.
Tout se succédait subtilement, histoire de faire comprendre à des passants
comme moi que personne ne pouvait être seul avant Noël. Et je ne l’étais pas,
en effet.
Néanmoins, à mesure que Noël approchait et que
la vue des décors urbains se transformait en cliché, une impression
d’inconsistance et de factice avait
commencé à m’habiter. Plus un je ne sais quoi d’irréel et de triste. Je me
disais que c’était à cause des vitrines. A cause de toute la féerie des grands
magasins, redondante et
quasiment inutile à force d’exhibition et des regards désabusés, comme s’il n’y
avait plus rien d’extraordinaire dans le décor. Dehors, le spectacle des lumières et des
décorations devenait harcelant. Tout criait Noël et pourtant j’étais incapable
de le percevoir.
Deux jours avant la
grande fête, j’avais laissé derrière moi le faste des Champs-Elysées, envoûtant
mais trop bruyant, le beau sapin de Notre-Dame, où les flashs des appareils
photo rivalisaient avec les guirlandes lumineuses. Seule l’étoile du
sommet échappait à l’assaut des caméras,
qui s’ingéniaient à multiplier Paris tout en le fragmentant et en le rendant
méconnaissable. Cependant, comme d’habitude, Paris se laissait faire. C’est
peut-être pour cela aussi que mon amour pour cette ville est si profond et
contradictoire à la fois : telle une star adorant les acclamations des
fans et les bains de foule, Paris a parfois l’air de ne plus se lasser de ses
admirateurs, d’où la tendance à se maquiller trop.
La Seine reflétait elle
aussi les éclairs festifs. Elle renvoyait un air de tristesse sur le crépuscule
de cet après-midi hivernal ; ses flots, percés de lumières trop vives, se
balançaient comme pour s’offrir une berceuse muette. Deux jours avant la veille
de Noël et le monde hésitait entre le spectacle et la solitude.
Encore deux pas. Une
plate-bande d’herbe fraîche, défiant la saison,
me retint un instant et me coupa le souffle. Une fraîcheur de printemps,
que je n’avais jamais vue au mois de décembre. Pont Neuf. Deux amoureux se
tenant par la main passèrent discrètement près de moi. Appuyée sur le rebord du
pont, je contemplais l’Ile de la Cité.
Superbe, familière et étrangère à la fois. Un petit garçon et sa maman se mirent à côté de
moi pour regarder. Le petit dit à sa mère :
- Maman, j’ai
vu Père Noël !
- Certainement,
on l’a vu ensemble !
- Mais
non ! Pas celui-là ! Juste maintenant ! Là !
- Ah
bon ? Où ça ?
- Mais
maman ! Regarde ! Là-haut, dans le traîneau !
- Ah, t’as
raison, mon chéri ! ajouta sa mère en regardant elle aussi dans le ciel.
- Tu sais
pourquoi il passe si tôt ?
- Non…, répondit
sagement sa maman.
- Ben, c’est parce qu’il doit faire le tour du monde !
- Ben, c’est parce qu’il doit faire le tour du monde !
- Tout à
fait ! Mais il reviendra sur Paris, juste à temps !
L’enfant était ravissant.
Sérieux, il n’avait rien d’un enfant gâté. J’ai adoré sa mère pour être entrée dans son jeu. Qui n'en était pas un comme les autres.
Je souris, émue. Mon garçon
me manquait. C'était lui mon miracle, ma magie. J’avais hâte de le retrouver, je n’imaginais pas Noël loin de lui.
Le stage auquel je participais
m’enthousiasmait ; pourtant, aucune stratégie didactique ou technique de classe n’avait plus de sens à
ce moment-là.
Le lendemain, en route vers
l’aéroport, j’aperçus les flocons de neige. Grands mais gracieux, surpris dans
une danse lente et délicate des adieux. Le bel Paris m’assurait qu’il n’avait
pas capitulé devant l’offensive consumériste.
Déjà chez moi, j’emmenai mon
garçon au parc pour admirer le sapin et se réjouir de la neige à peine tombée. Ma
ville n’avait pas le faste de Paris, mais le sapin du parc central et les
guirlandes lumineuses suffisaient pour rendre heureux les enfants. Mon gosse
jouait dans la neige et tout le monde lui appartenait. Il avait une
fine couche blanche sur le blouson et les joues roses. Soudain, il demeura
immobile et regarda vers le haut. Tout de suite, il m’entraîna par la main et me montra le ciel étoilé.
- Maman,
regarde !
- Où ça ?
- Là, à
gauche ! C’est Père Noël !
- Mais bien
évidemment ! Je le vois maintenant !
Une joie indicible me
conquit. Pendant que j’embrassais mon enfant, les yeux rivés sur les étoiles,
je vis vraiment Père Noël, mais aussi un petit garçon de Paris, sur
le Pont Neuf, saluant le traîneau et l’attendant patiemment.
Aujourd’hui encore, après de
longues années, la veille de Noël superpose, dans mon esprit, deux garçons, qui
ne se connaîtront probablement jamais, mais qui sont définitivement unis par la
même magie, comme des milliards d’autres enfants du monde, veillant à ce que
les miracles soient encore possibles.
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